J'ai eu beaucoup de mal à accepter la perte de Jenna. Son décès (et celui de ses petits) ponctué de celui de Balto et de Brisby peu après et dans des conditions floues ainsi qu'à des âges encore trop peu avancés, m'ont réellement mis un coup que j'aurais pensé savoir mieux gérer. Je n'y étais pas aussi bien préparée que je le pensais, et j'ai sombré dans un espèce de cercle vicieux mêlant culpabilité et incompréhension permanente.

J'ai beau savoir qu'aucune de ses pertes n'est objectivement de ma faute, j'ai passé ces derniers mois à essayer de comprendre ce qui s'était passé et à chercher ce que j'aurais pu faire pour les éviter, sans jamais trouver de réponse. Ça m'a également valu un désintérêt presque total pour pas mal de choses qu'elle soient totalement personnelles comme liées au "monde du rat" (notamment à une portée née de l'union de mon Babar et de Kao chez les Saloperies Daturats, pour laquelle j'étais pourtant enthousiaste au départ).

On me l'a d'ailleurs reproché, et je le comprends parfaitement. Je ne nierai pas m'être éclipsée un peu sans prévenir, parce-que même si parfois je foire, je sais rester transparente et consciente de mes erreurs. Mais j'ai toujours fonctionné ainsi : quand quelque chose va mal, je m'isole et je ne sais pas en parler (ni rester présente) avant le moment où je parviens - enfin - à sortir la tête de l'eau. C'est parfois très tard, certes, mais c'est ainsi, et même si j'aimerais fonctionner autrement, je ne sais pas le faire. On pourra me le reprocher aussi souvent qu'on le voudra, je pense que ça n'y changera rien, bien que je suis d'accord avec le fait que ça ne me dédouane de rien lorsque cela implique d'autres personnes. Je suis juste consciente des faits, et je les explique tels qu'ils sont. Ne pas pleurer quinze fois par jour sur facebook ou les forums quant aux sentiments qui m'animent ne fait pas non plus de moi un être insensible, peut-être simplement plus réservé.

Je tiens à souligner que la petite troupe restante à la maison est malgré tout heureuse : Rodrigo, GéGé, Babar, Léonard, Terrance, Vodka-Bulles, Donna, Rita, Pepita, et Janis Joplin, sont en parfaite santé, et n'ont manqué de rien pendant mon absence auprès de la "communauté" ratesque (qui n'est pas synonyme d'absence auprès des animaux vivants chez moi, soyons d'accords). Un gros coup de blues ne m'empêche jamais de prendre soin de ceux qui partagent mon quotidien, bien au contraire : c'est finalement à eux que je me rattache le plus, et c'est grâce à eux que je finis par relativiser. Après tout, si certains sont partis, ils me rappellent qu'eux sont toujours là, prêts à jouer, creucreuter, et faire des blagues pas possible (comme taper la sieste sur le dos les quatre pattes en l'air histoire de me faire une frayeur). C'est probablement ce qui me sauve, et je ne peux pas m'imaginer ne plus vivre avec eux à mes côtés. Je n'accepterai donc jamais que l'on puisse remettre en cause le bien-être de ceux qui vivent ici avec moi et dépendent de moi au quotidien.

Je souhaitais que cela soit clair, et j'espère que j'aurais réussi à l'être.
 
Je t'aimais autant que les autres, c'est à dire plus fort que je n'ai aimé la plupart des autres de mon espèce. Tu avais ton caractère à toi, tu étais drôle, vive, curieuse, très très intelligente, mais aussi bornée, chiante, princesse plaintive, et lunatique. Une vraie palette de traits de caractère qui te rendaient intéressante et tellement attachante ! Tu dramatisais tout : le moindre morceau de potatoes te faisait courir partout comme si tu venais de gagner le gros lot, si je te gardais dans mes mains plus de deux secondes tu jouais à la fille blasée, te sortir de ta cage quand tu avais décidé que ce n'était pas ton envie du moment, c'était se risquer à t'entendre piailler comme si je m'amusais à t'arracher des lambeaux de peau à la pince à épiler, et parfois, sans crier gare, tu t'approchais timidement de moi, me donnais un coup de museau sur la cuisse avant de monter sur moi et te caler contre mon ventre ou au creux de mon cou, à creucreuter à la moindre caresse derrière les oreilles.

Ton poil était le plus doux qu'aucun(e) autre n'ai jamais eu, je pouvais m'endormir le nez dans tes flancs lorsque tu te calais contre mon visage pendant mes siestes sur le canapé. Je me souviens que dans ces moment-là, j'entendais ta respiration pourtant si discrète, et elle m'apaisait. Ta chaleur réchauffait le bout de mon nez toujours un peu froid, et tes bâillements arrivaient à me faire bailler à mon tour. On était bien toutes les deux, juste toutes les deux, à cette époque qui me paraît si lointaine, celle où j'essayais d'apprendre à te connaître et à te prouver mes bonnes intentions. Tu étais curieuse mais tu ne connaissais pas beaucoup l'homme en arrivant à la maison, tu avais toutes les raisons de te méfier de l'inconnu, et pourtant, tu m'as fait confiance plus vite que je ne pouvais l'espérer. Et pour ça je te dis merci. Ça a été un immense bonheur que de partager tout ça avec toi, même si ce fut trop court.

Aujourd'hui, tu es partie rejoindre tes bébés. Tu n'avais pas encore dix mois mais tu es partie de l'autre côté.

Si tu savais comme je m'en veux, de t'avoir mise dans cette position, de t'avoir imposé toutes ces épreuves, d'être responsable de toute cette douleur, de tout ce mal-être, de t'avoir poussée à ce point à bout. Je n'arrive pas à imaginer ce que tu as pu (re)sentir pour en arriver à te tuer toute seule et volontairement : je ne savais même pas qu'il était possible pour un animal que de se donner lui-même la mort. Encore une nouvelle chose que tu m'auras apprise, comme quoi : tu n'étais pas n'importe qui. Même dans la mort, tu sais remettre en question tout ce que j'ai toujours cru savoir.

Je n'arrête pas de pleurer. Tu me manques déjà tellement !

Je regarde tes copines et tout ce que je constate, c'est que Janis reste seule depuis 5 jours que tu as quitté votre maison pour rejoindre ta chambre de maternité. Cinq jours, et elle attend toujours que tu reviennes. Tu étais son amie, vous étiez toujours fourrées ensemble, de vraies siamoises, vous formiez un super duo. Et je suis là, devant chez vous, et je ne sais même pas comment lui faire comprendre que tu ne reviendras pas.

Je pleure et elle me regarde depuis sa spoutnik, alors qu'elle a plutôt l'habitude de se jeter sur les grilles à mon approche, comme tu le faisais. Ce soir, elle me regarde de loin. Je me demande si elle a compris.

Et je continue de me flageller pour tout. Qu'as-tu pensé, quand je t'ai laissée là bas ? Je ne t'ai même pas dit aurevoir, je n'imaginais même pas une seconde que je pourrais ne jamais te revoir. J'étais si persuadée que tu t'en sortirais comme une reine, et tu l'as fait. Puis tu t'es tuée. Et je n'étais pas là quand tu as perdu tous tes points de repère dans cette clinique, je n'étais pas là non plus quand tu t'es réveillé de cette opération, je n'étais toujours pas là vingt-quatre heures plus tard, ni quand tu as décidé de t'éventrer, attendant sagement dans le confort de mon salon le feu vert des docteurs pour pouvoir revenir te chercher. Mais toi, qu'as-tu pensé, qu'as-tu ressenti ? Tu as du te sentir si seule : tu as perdu tes bébés, as souffert d'une mise bas mal engagée pendant de longues heures, as subi une stérilisation et une césarienne, t'es réveillée seule, dans un endroit où aucune odeur, aucun son, ne t'étaient familier. Et je ne revenais pas te chercher.

Mon Dieu mais quelle horrible maîtresse je fais ! Je suis tellement désolée petite Jenna, si tu savais ! Je ne me pardonnerai jamais tout ce qui t'est arrivé. Tu ne méritais rien de ça, vraiment. C'est si injuste et si cruel !

J'espère de tout coeur que tu es soulagée de toute cette douleur, maintenant. Je t'imagine en train de jouer avec tes bébés, de te reposer près d'eux, en leur offrant ta chaleur. Je t'imagine en train de courir et de grimper partout, tout ça juste pour un morceau de friture de la taille d'un grain de riz. Bien au chaud. Bien repue. Légère et sans aucune douleur, jamais, nulle part.

C'est tout ce que je te souhaite : être bien là où tu es, comme ultime récompense à toutes ces épreuves.

Mille pardon mon amour, je ne m'arrêterai jamais d'espérer ton pardon. Adieu. Je prendrai soin de tes amies, je te le promets.
 
Je ne suis pas très douée pour m'exprimer quand quelque chose tourne mal. A la mort de chacun de mes rats, j'annonce les faits, mais ne m'étends pas outre-mesure, peut-être parce-que je n'ai vécu que des décès soudains jusque-là, qui ne m'ont jamais laissé le temps d'appréhender la disparition d'un de mes protégés. Ou peut-être n'ai-je simplement pas le coeur à m'étendre, je ne sais pas.

Pourtant, lorsque j'ai retrouvé Babar dans un état lamentable après avoir entendus des cris de bagarre un peu plus virulents que d'habitude, ça a été une toute autre histoire. Comme si le fait qu'il vive encore me donnait une raison de souffrir avec lui.

C'était le 4 février.
Pourtant, lui, avait l'air d'aller plutôt bien malgré l'état de son visage. Mais comment ne pas réagir face à un tel carnage ?

Je l'avais bien évidemment tout de suite mis à l'écart, lui avais désinfecté sa plaie en attendant de voir le véto dès le lendemain matin. C'était sans compter qu'il s'est décidé d'un coup d'un seul de se ravaler la façade lui-même, histoire de bien terminer le travail.
C'est à ce moment-là que j'ai complètement cédé à la panique.

Je ne sais pas si je réussirai à de nouveau ré-expliquer ce qui s'est passé dans ma tête et dans les faits, je préfère donc copier/coller ce que j'ai partagé des 24h qui ont suivi avec l'un de mes amis, je pense que je ne saurais pas mieux, aujourd'hui, résumer la situation.
Comme tu l'as constaté, le véto ça a été. Effectivement j'étais mal... Je vais t'expliquer la scène : cette nuit je l'avais sur les genoux à essayer de le nettoyer et j'arrivais à rien. Dès que je touchais un truc ça pissait le sang, je vidais mes pipettes de sérum phy à la vitesse de la lumière sans réussir à dégager son oeil. Je le sentais pas bien, il couinait dès que je passais une compresse dessus, j'étais à bout de nerfs, avec le sentiment du culpabilité de l'avoir laissé s'automutiler sans faire attention, je m'en voulais tellement, je le voyais souffrir...et c'était moche tous ces muscles ensanglantés collés à sa petite tête... J'ai fini par laisser tomber de peur de faire pire que mieux, mais complètement terrorisée à l'idée que peut-être ce n'était pas le bon choix. Je tremblais, t'imagines même pas à quel point, je me suis mise à pleurer tellement je me sentais impuissante (et pourtant je pleure pas souvent).

En face de mon canapé y'a mon miroir plein pied sur le mur, et quand j'ai relevé la tête j'ai vu l'aperçu global de la boucherie... Y'avait du sang partout, j'en avais sur les mains, les avant bras, plein de t-shirt (il avait beau être rouge, tu voyais les taches plus sombres de partout), sur mon pantalon, sur la serviette de mes genoux, et comme j'essayais de me calmer et que j'essuyais mes larmes du revers de la main, je m'en étais mis plein la figure aussi. En gros, je vivais un remake du film Carrie un peu, avec mes cheveux décoiffés, pas maquillée, le teint tout vitreux de la fatigue et des nerfs qui lâchent .. Franchement c'était moche, pleine de sang PARTOUT, cette image m'a foutue encore plus mal, j'ai commencé à partir en bad, mais horrible.

Bon du coup, [aujourd'hui] je me sens beaucoup mieux, même si sur place j'ai failli me remettre à pleurer aussi. La véto m'a laissé le choix entre juste des antibios et laisser les croûtes tomber toute seules, mais avec le risque que ça s'infecte si j'ai pas bien nettoyé pendant la nuit, ou alors endormir le loulou au gaz et essayer de tout enlever pour refaire un nettoyage. Sachant que vu mon état de nerfs hier, j'étais même pas sure d'avoir bien nettoyé, et qu'on était pas sures que son oeil soit en bon état en dessous, j'ai opté pour la totale. Comme elle avait le temps on s'en est occupé tout de suite. On a déjà galéré à lui mettre le masque, puis ensuite, je devais le tenir pour que le masque reste en place donc j'ai assisté à tout : ramollir les croûtes puis les arracher (c'est violent comme truc !). Elle y arrivait pas bien et était même pas sur de réussir à en faire quelque chose, pendant un moment on s'est même dit que c'était pas la peine de le torturer davantage mais l'inconnue "oeil" nous a poussées à insister. Il dormait pas, il était juste assommé, et il a tellement eu mal sur certaines zones que même dans le gaz il couinait, mais l'horreur ! Finalement après 10 minutes la dernière masse est partie (en lui épilant la moitié du visage au passage) et là : surprise ! Son oeil allait bien, c'était bien de la chair, pas une mutilation de l'oeil directement. Elle a du couper des morceaux de chair pour que ça soit propre (il a du souffrir...), elle a désinfecté et hop, des points. Mais même ça  ça me faisait tellement mal au coeur de la voir passer une aiguille aussi épaisse sur de si petit bout de peau, parfois à un demi millimètre des yeux  bon, une fois fini, il s'est vite réveillé, là il comate encore un peu, il peut pas s'allonger avec la collerette sans s'étrangler donc j'ai sacrifié un t-shirt que j'ai mis en boule, du coup il pose sa tête dessus et ça va.
Aujourd'hui, Babar va mieux. Il retrouvera ses copains de cage ce week-end, au prochain nettoyage. Il a eu 10 jours d'antibiotiques, sa plaie ne s'est pas infectée, il pète la forme et son visage est même dans un état correct.

Je ferai de nouvelles photos de lui pour montrer à quel point la véto a fait un boulot génial : il n'y paraît plus grand chose !

En attendant, je suis constamment sur le qui-vive au moindre couinement dans les cages, comme si ce type d'incident était sur le point de me retomber sur le coin de la figure.

Babar est un combattant, il est fort, et m'a imposé le respect par sa sérénité alors que moi-même j'étais incapable de rester calme.

Je crois qu'ils nous surprendront toujours, même dans les pires moments.