Ton poil était le plus doux qu'aucun(e) autre n'ai jamais eu, je pouvais m'endormir le nez dans tes flancs lorsque tu te calais contre mon visage pendant mes siestes sur le canapé. Je me souviens que dans ces moment-là, j'entendais ta respiration pourtant si discrète, et elle m'apaisait. Ta chaleur réchauffait le bout de mon nez toujours un peu froid, et tes bâillements arrivaient à me faire bailler à mon tour. On était bien toutes les deux, juste toutes les deux, à cette époque qui me paraît si lointaine, celle où j'essayais d'apprendre à te connaître et à te prouver mes bonnes intentions. Tu étais curieuse mais tu ne connaissais pas beaucoup l'homme en arrivant à la maison, tu avais toutes les raisons de te méfier de l'inconnu, et pourtant, tu m'as fait confiance plus vite que je ne pouvais l'espérer. Et pour ça je te dis merci. Ça a été un immense bonheur que de partager tout ça avec toi, même si ce fut trop court.
Aujourd'hui, tu es partie rejoindre tes bébés. Tu n'avais pas encore dix mois mais tu es partie de l'autre côté.
Si tu savais comme je m'en veux, de t'avoir mise dans cette position, de t'avoir imposé toutes ces épreuves, d'être responsable de toute cette douleur, de tout ce mal-être, de t'avoir poussée à ce point à bout. Je n'arrive pas à imaginer ce que tu as pu (re)sentir pour en arriver à te tuer toute seule et volontairement : je ne savais même pas qu'il était possible pour un animal que de se donner lui-même la mort. Encore une nouvelle chose que tu m'auras apprise, comme quoi : tu n'étais pas n'importe qui. Même dans la mort, tu sais remettre en question tout ce que j'ai toujours cru savoir.
Je n'arrête pas de pleurer. Tu me manques déjà tellement !
Je regarde tes copines et tout ce que je constate, c'est que Janis reste seule depuis 5 jours que tu as quitté votre maison pour rejoindre ta chambre de maternité. Cinq jours, et elle attend toujours que tu reviennes. Tu étais son amie, vous étiez toujours fourrées ensemble, de vraies siamoises, vous formiez un super duo. Et je suis là, devant chez vous, et je ne sais même pas comment lui faire comprendre que tu ne reviendras pas.
Je pleure et elle me regarde depuis sa spoutnik, alors qu'elle a plutôt l'habitude de se jeter sur les grilles à mon approche, comme tu le faisais. Ce soir, elle me regarde de loin. Je me demande si elle a compris.
Et je continue de me flageller pour tout. Qu'as-tu pensé, quand je t'ai laissée là bas ? Je ne t'ai même pas dit aurevoir, je n'imaginais même pas une seconde que je pourrais ne jamais te revoir. J'étais si persuadée que tu t'en sortirais comme une reine, et tu l'as fait. Puis tu t'es tuée. Et je n'étais pas là quand tu as perdu tous tes points de repère dans cette clinique, je n'étais pas là non plus quand tu t'es réveillé de cette opération, je n'étais toujours pas là vingt-quatre heures plus tard, ni quand tu as décidé de t'éventrer, attendant sagement dans le confort de mon salon le feu vert des docteurs pour pouvoir revenir te chercher. Mais toi, qu'as-tu pensé, qu'as-tu ressenti ? Tu as du te sentir si seule : tu as perdu tes bébés, as souffert d'une mise bas mal engagée pendant de longues heures, as subi une stérilisation et une césarienne, t'es réveillée seule, dans un endroit où aucune odeur, aucun son, ne t'étaient familier. Et je ne revenais pas te chercher.
Mon Dieu mais quelle horrible maîtresse je fais ! Je suis tellement désolée petite Jenna, si tu savais ! Je ne me pardonnerai jamais tout ce qui t'est arrivé. Tu ne méritais rien de ça, vraiment. C'est si injuste et si cruel !
J'espère de tout coeur que tu es soulagée de toute cette douleur, maintenant. Je t'imagine en train de jouer avec tes bébés, de te reposer près d'eux, en leur offrant ta chaleur. Je t'imagine en train de courir et de grimper partout, tout ça juste pour un morceau de friture de la taille d'un grain de riz. Bien au chaud. Bien repue. Légère et sans aucune douleur, jamais, nulle part.
C'est tout ce que je te souhaite : être bien là où tu es, comme ultime récompense à toutes ces épreuves.
Mille pardon mon amour, je ne m'arrêterai jamais d'espérer ton pardon. Adieu. Je prendrai soin de tes amies, je te le promets.